
Un grand fromager, le doyen des arbres du pays, l’un de ceux- là que beaucoup de Guinéennes et de Guinéens avaient choisi comme porte- parole et abri vient de disparaître. C’est dans la capitale française qu’il a été emporté la nuit du 25 mai 2009, à minuit 45mn, très exactement, par l’âge et la maladie.
Paris allait donc être le lieu où la forêt se séparerait de son géant et la Guinée de son vaillant fils Bâ Mamadou Bhoye. Ce digne fils de notre pays était connu sous le nom de Bâ Mamadou. Mais, surtout de Doyen !
Doyen, il l’était ! Il l’était dans l’acception coutumière ou traditionnelle du terme. Il incarnait à la fois le courage, la sagesse et l’ancienneté. Si l’âge, 79 ans, en faisant un doyen car Mamadou Bâ est né en avril 1930, c’est l’action politique qui lui a valu ce terme de révérencieux. Ce n’est pas un surnom. Il s’agit d’un profond respect mêlé parfois de crainte parce que Bâ Mamadou ne s’est jamais laissé marcher sur les pieds.
Opposant de première heure, il est l’artisan, le précurseur, le père de la lutte démocratique en République de Guinée. Inutile de vouloir refaire, en ces temps douloureux, tout son parcours politique ou son autobiographie. Certains l’ont déjà fait et les médias s’en font déjà l’écho. Je me contenterai de retracer quelques actes, non des moindres qui ont fait de l’homme le pionnier de la résistance au pouvoir dictatorial dans notre pays.
Dès son retour en Guinée à la mort de Sékou Touré qui l’avait condamné à mort par contumace, Bâ Mamadou Bhoye s’est lancé dans le combat pour la démocratie. C’est de manifestation en manifestation : baptême, mariage, prière à la mosquée, à l’église mais aussi au marché et dans les bureaux que le Doyen qui vient de rejoindre, aujourd’hui, Le Créateur distribuait son projet de société.
Très vite, le petit journal satirique de Bâ Mamadou et qui date de 1990 jouit d’un grand lectorat. Il fit connaître son auteur non plus comme un simple pamphlétaire, mais en homme de projet. Un nouvel homme politique que le pays attendait depuis que l’éléphant déçu les espoirs. Cet homme dit aux Guinéens que la mort du pachyderme ne suffisait pas car le fusil qui a pris la relève ne fera pas l’affaire. Il se lança corps et âme en politique et montra au peuple qu’un autre « Non » est possible. Un « Non » au- delà de celui de septembre pour mener le pays vers la démocratie promise et jamais honorée !
De cette volonté, la Nouvelle République, le journal qui véhicule les idées de son fondateur et la ligne directrice du futur parti et voit le jour. Cette revue portait déjà en filigrane le nom de l’UNR : Union pour la Nouvelle République qui est créé en 1991.
Bâ Mamadou devient alors le premier fondateur d’un parti politique d’opposition en Guinée : opposition à un système qui, en remplaçant une dictature n’a pas mieux fait qu’en substituer une autre. Mais, cette fois- ci, plus raffinée. Dès lors, Bâ Mamadou Bhoye apparaît aux yeux du pouvoir comme l’homme à abattre pour ne pas qu’il fasse mousse. Mais c’était très mal connaître « Doyen ! »
Non seulement, Bâ Mamadou va foncer, mais il fera des « petits. » Naîtront alors les partis politiques comme le Rassemblement du Peuple de Guinée (RPG) d’Alpha Condé ; le Parti Guinéen du progrès (PGP) de Siradiou Diallo ; l’Union pour le progrès de la Guinée (UPG) de Jean- Marie Doré et bien d’autres.
Les différents leaders cités reconnaîtront le patriotisme, le courage, l’intégrité morale et intellectuelle, l’engagement politique de Bâ Mamadou. Son attachement aux valeurs démocratiques, à la justice sociale, à la paix et au bonheur du peuple de Guinée lui vaudra la haine du pouvoir et l’admiration de ses adversaires de l’opposition. Ainsi, portera- t- il, à plusieurs reprises, les couleurs de l’union de l’opposition guinéenne.
A la fois instigateur, acteur et défenseur du rassemblement des partis politiques de l’opposition le Doyen Bâ Mamadou présidera la Coordination de l’Opposition Démocratique (CODEM) en 1995. C’est dans le même esprit qu’il fusionne l’Union pour la Nouvelle République (UNR) et le Parti pour le Renouveau et le Progrès (PRP) de Siradiou Diallo en 1998.
Il aura également été l’un des membres fondateurs du Front Républicain pour l’Alternance Démocratique (FRAD) qui fut créé en 2003.
Bâ Mamadou sera, aux élections présidentielles de 1998, le candidat de l’Union pour le Progrès et le Renouveau (UPR) issue de la fusion évoquée ci- dessus avec Siradiou Diallo. Auparavant, il s’était présenté en 1993 sous le mandat de l’UNR. N’eut été la fraude et autres tricheries bien rôdées sous toutes les dictatures, Bâ Mamadou l’aurait emporté sur le Général Lansana Conté, président sortant.
Mais, aucun échec, aucune intimidation n’ont détourné l’enfant de Dinguiraye né à Boké de son combat. N’est- il pas le seul leader politique, en tout cas, le premier à avoir fait descendre ses militants dans les rues contre le système politique au pouvoir ? L’affaire Caporo- Rail a montré la détermination du leader de l’UNR à lutter contre l’injustice et l’arbitraire. Son face à face contre Lansana Conté lors d’une traversée du fleuve Waou, préfecture de Guéckédou en 1993, avait prouvé à plus d’un Guinéen l’audace de l’enfant de ce leader politique.
Ce fils d’instituteur n’ayant pas froid aux yeux avait forcé le cortège présidentiel à faire marche- arrière pour lui céder le passage. De ce face à face naîtra le mythe Bâ Mamadou. Du moins, il grandira plus de cet affront dont il ne perdit pas la face.
Lorsqu’il affirmera, après son arrestation dans l’affaire de démolition des maisons de Caporo- Rail que, je cite « la prison est un passage obligé pour les grands hommes », il n’aura fait que renforcer l’admiration que les Guinéens lui nourrissent !
Ayant participé à toutes les luttes, à tous les combats de l’opposition guinéenne, à tous ses échecs, mais aussi ses réussites, le Doyen Bâ Mamadou, consacre son amour patriotique en passant le flambeau aux jeunes générations. Ainsi, animé par l’exemple et, surtout par le devoir patriotique, il cède en novembre 2007 son fauteuil de président de l’Union des Forces Démocratiques de Guinée (UFDG) à Cellou Dalein Diallo.
Cet acte éminemment patriotique et qui fera date ne surpris que ses détracteurs. Ceux qui voyaient un amour trop poussé du pouvoir derrière sa fermeté politique. Cet homme d’une très rare détermination n’a jamais versé dans l’excès. Durant les événements de mars 2006 et janvier- février 2007, il s’est mis, une fois de plus, du côté du peuple pour fustiger la dégénérescence du pouvoir politique. Vainement, il a appelé le Président de la république à entendre le peuple en rendant honorablement son fauteuil.
A la prise du pouvoir par le Conseil National pour la Démocratie et le Développement (CNDD) il a évité de se laisser aller à l’émotion et vivement conseillé à la vigilance. Justement, le Capitaine Moussa Dadis lui a tout récemment décerné la Médaille d’Officier de l’Ordre National du mérite. Il l’a reçu avec tous les honneurs sur son lit d’hôpital des mains de Boubacar Barry Ministre d’Etat à la Présidence chargé de la Construction, de l’Aménagement du Territoire et du Patrimoine bâti public.
J’adresse, personnellement, mes condoléances à la famille du Doyen Bâ Mamadou, à toute la classe politique guinéenne et à toutes les personnes qui ont été affectées par cette douloureuse disparition.
Puisse l’UFDG, la famille politique du défunt continuer son œuvre et les leaders politiques de tous bord se dire, nul n’étant éternel, ils parleront plus que jamais d’une seule voix pour aboutir à ce que Bâ Mamadou et Siradiou Diallo n’ont pas eu la chance de vivre : une Guinée démocratique !
Enfin, Bâ Mamadou avait choisi le fromager, le doyen des arbres de la forêt tropicale guinéenne comme l’emblème de son parti ! Sachant le symbolisme de cet arbre coutumier sous lequel on rendait la justice en Afrique et dont l’ombre est protectrice, espérons que l’UFDG le conservera.
Prions pour que ce choix du Doyen Bâ Mamadou étende ses branches et son ombre pour rassembler et protéger beaucoup plus encore de Guinéens ! Prions également pour que la voie qu’il a tracée soit suivie par les générations futures !
Doyen, s’il nous était demandé, tu aurais vécu la célébration du premier pouvoir démocratique en Guinée. Le Tout Puissant en a décidé autrement ! Nous osons espérer que tes héritiers se battront pour que ton parti soit, non seulement au rendez- vous de la démocratie, mais aussi et surtout, qu’il soit le parti victorieux ! Nous ne doutons pas, un seul instant de leur volonté et leur capacité de réaliser ton rêve d’une Guinée démocratique !
Repose en Paix ! Que Dieu t’accorde Sa Grâce et sa Miséricorde ! Que les anges du paradis t’accueillent et t’élèvent aux cieux ! AMEN !
Lamarana Petty Diallo lamaranapetty@yahoo.fr
Mardi 26 Mai 2009 - 22:10
Source :
http://www.ufdg.org
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